Réquisition de personnels grévistes : même si les effets de la mesure sont épuisés, le référé liberté est possible
Publié le :
19/10/2022
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Par ordonnance du 13 octobre 2022 (n°2204100), le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rendu une décision tout à fait intéressante sur la procédure du référé liberté.
Le référé liberté a été créé par la loi du 30 juin 2000. Il s’agit d’une procédure d’urgence qui permet de mettre fin à une mesure administrative de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
On trouve cette procédure à l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui dispose :
« Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
Plusieurs critères sont exigés pour pouvoir déclencher cette procédure.
Il faut qu’il existe :
- Une situation d’urgence,
- Une liberté fondamentale
- Une atteinte grave à cette liberté fondamentale
- Une atteinte manifestement illégale à cette liberté fondamentale
Le juge des référés opère un contrôle précis de ces critères afin d’étudier la requête de référés qui lui est soumise.
Notamment, le critère de l’urgence est déterminant dans le cadre de l’introduction d’une telle procédure.
La notion d’urgence telle qu’exigée dans le cadre du référé liberté est différente de celle qui existe dans le cadre du référé suspension ou mesures utiles.
Dans le cadre du référé liberté, le juge doit statuer dans des délais extrêmement brefs, il faut donc que l’urgence soit telle qu’elle impose au juge de se prononcer en 48 heures.
En pratique, lorsque la mesure ne produit plus d’effets, ou qu’elle a été totalement exécutée, la notion d’urgence est souvent écartée.
Dans les faits à l’origine de l’ordonnance du 13 octobre 2022, l’interprétation du juge sur ce point est tout à fait particulière.
A l’origine du référé, un syndicat a demandé à suspendre l’arrêté du 12 octobre 2022 pris par un préfet qui portait réquisition de personnels chargés de l’activité de pompage et d’expédition d’un site.
Cet arrêté ordonnait la réquisition de deux agents pour le mercredi 12 octobre 2022 et le jeudi 13 octobre 2022.
Le juge précise qu’à la date de son ordonnance, la décision attaquée a épuisé ses effets et que les conclusions tendant à sa suspension sont donc devenues sans objet.
Toutefois, le juge poursuit en affirmant :
« En second lieu, les réquisitions préfectorales, qui portent sur une période de travail coïncidant avec des quarts pouvant atteindre 12 h mais qui n’excèdent parfois pas 5 h 30, ont un effet très limité dans le temps. Leur notification concomitante à l’entrée en service du personnel concerné, le délai nécessaire au dépôt d’un recours et celui de son traitement par la juridiction rendraient en pratique impossible l’examen des demandes de référé, même d’extrême urgence. L’article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard à l’objectif de sauvegarde des libertés fondamentales qu’il poursuit, peut conduire à statuer sur l’existence d’une atteinte à une telle liberté si un fait quelconque de l’administration se produit avant que l’ordonnance soit rendue. Tel est le cas en l’espèce où un nouvel arrêté préfectoral de réquisition a été pris le 13 octobre 2022 établissant la liste des personnels réquisitionnés jusqu’au vendredi 14 octobre 2022 à 22 h. Dans ces conditions, les conclusions du syndicat requérant tendant à suspendre l’exécution de toute réquisition visant les grévistes N°2204100 4 de la plateforme de Gravenchon du groupe Exxon Mobil qui serait édictée entre la saisine de la juridiction et l’ordonnance à intervenir conservent un objet. »
Ainsi, le juge a considéré que le fait que de nouveaux arrêtés de réquisitions puissent être pris à la suite les uns des autres fait que les conclusions du syndicat, tendant à suspendre l’exécution de toute réquisition conduisent à considérer que la saisine conserve un objet.
Cette jurisprudence est tout à fait instructive concernant le contrôle que fait le juge du critère de l’urgence à statuer. En l’espèce, même si le référé portait sur une décision précise, il doit être regardé comme portant sur toutes les décisions, même futures qui pourraient être prises, sans quoi la procédure de référé liberté ne pourrait jamais être lancée au regard de la brièveté de l’exécution de certaines décisions.
Cet arrêt est le bienvenu dans le cadre de la défense des agents grévistes faisant l’objet de réquisitions, qui pourraient, en application de cette jurisprudence, voir contrôlées ces mesures.
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