Procédure disciplinaire et enquête administrative : protection des témoins vs. droit à la défense de l’agent poursuivi
Publié le :
09/05/2023
09
mai
mai
05
2023
Dans le cadre d’une procédure disciplinaire diligentée à l’encontre d’un agent, il est tout à fait fréquent qu’une enquête administrative soit réalisée. Cette enquête a pour objectif d’établir la matérialité des faits qui ont été signalés à l’administration.
A l’issue de cette enquête, un rapport vient alors restituer les éléments collectés auprès de l’ensemble des protagonistes. C’est sur la base de tous ces éléments que l’autorité administrative décide des suites à donner au signalement.
Lors de cette enquête, des auditions de témoins sont réalisées, sous forme d’entretiens individuels. Un compte rendu signé par chaque agent et les enquêteurs est alors établi à l’issue de chaque audition.
L’anonymat des témoins peut être conservé « si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné ».
Cette protection des témoins est admise depuis longtemps par les juges administratifs qui sont toutefois attentifs au respect du droit à la défense de la personne poursuivie.
Dans un récent arrêt, les juges du Conseil d’Etat ont en effet décidé :
« 5. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. Dans ce cas, l'administration doit informer l'agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'il puisse se défendre utilement.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été effectivement destinataire, préalablement à la décision attaquée, qui constitue une mesure prise en considération de la personne, du rapport final de l'enquête administrative conduite par deux inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche au sein de la direction des services départementaux de l'éducation nationale des Deux-Sèvres et portant notamment sur son comportement. Toutefois, ce rapport lui a été transmis dans une version dans laquelle, d'une part, plusieurs parties avaient été intégralement occultées, y compris s'agissant de leur intitulé, et remplacées par les mentions " partie non communicable (art[icle] L. 311-6 CRPA) ", d'autre part, les parties non totalement occultées comportaient certaines mentions dissimulées selon le même procédé. En outre, il ressort des pièces du dossier que malgré une demande en ce sens, M. B... n'a eu communication que de certains des quarante-quatre comptes rendus d'audition annexés au rapport. Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas allégué que cette communication parcellaire avait pour objet de protéger les personnes qui avaient témoigné sur la situation en cause, M. B... est fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, afin de préparer utilement sa défense, et que, par suite, la procédure préalable à l'édiction du décret attaqué a été entachée d'irrégularité.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation du décret du 12 mars 2020 ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté du 16 mars 2020. » (Conseil d'Etat, 4ème et 1ère chambres réunies, 28 avril 2023, n°443749)
Cette décision démontre bien que l’anonymat qui vise à protéger les témoins ne peut conduire l’agent poursuivi à être privé de la possibilité de préparer utilement sa défense.
En effet, dans la situation d’espèce, les témoignages étaient en partie occultés et certaines parties étaient dissimulées. De plus, toutes les auditions n’avaient pas été communiquées à l’agent poursuivi.
Cette décision est la bienvenue dans la mesure où il est indispensable pour les agents qui font l’objet de poursuites disciplinaires de pouvoir se défendre utilement.
Si vous faites l’objet de poursuites disciplinaires et nécessitez un accompagnement, n’hésitez pas à contacter le Cabinet !
Historique
-
Surveillant pénitentiaire : la peine complémentaire d'interdiction des fonctions entraine-t-elle radiation des cadres ?
Publié le : 12/09/2023 12 septembre sept. 09 2023Droit publicDroit public / Droit administratifUn surveillant pénitentiaire a été condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis, assortie d'une peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire. Le garde des sceaux a donc décidé de radié l'intéressé des cadres à compter de la date à laq...
-
Procédure disciplinaire et enquête administrative : protection des témoins vs. droit à la défense de l’agent poursuivi
Publié le : 09/05/2023 09 mai mai 05 2023Droit publicDroit public / (NPU) Fonction publiqueDans le cadre d’une procédure disciplinaire diligentée à l’encontre d’un agent, il est tout à fait fréquent qu’une enquête administrative soit réalisée. Cette enquête a pour objectif d’établir la matérialité des faits qui ont été signalés à l’administration. A l’issue de cette enquête, un rap...
-
Référé suspension : la condition d’urgence être établie même si le requérant a attendu l’issue de son RAPO
Publié le : 25/04/2023 25 avril avr. 04 2023Droit publicDroit public / Droit administratifLa procédure de référé suspension est prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative qui dispose : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner...
-
L'administration doit effectivement chercher à reclasser l'agent avant mise à la retraite pour invalidité!
Publié le : 05/04/2023 05 avril avr. 04 2023Droit publicDroit public / (NPU) Fonction publiqueLe Cabinet vient d'obtenir une ordonnance de référé du Tribunal Administratif de Bordeaux, ce jour, qui suspend une décision admettant l'agent à la retraite pour invalidité et lui enjoignant de réintégrer l'agent dans ses effectifs et d'engager une procédure de reclassement dans un délai de 15 jo...
-
Conseil de discipline : le fonctionnaire doit préalablement être informé de l’audition de témoin
Publié le : 28/03/2023 28 mars mars 03 2023Droit publicDroit public / Droit administratif(Conseil d’Etat, 3/8 ch. r., 8 mars 2023, n°463478) Lors de la tenue d’un conseil de disciplinaire, l’administration n’a pas à informer le fonctionnaire poursuivi de son intention de faire entendre des témoins ou de l’identité de ceux-ci. Toutefois, afin de ne pas méconnaître les droits d...
-
AVC : s’il est la conséquence d’un accident de service, il est aussi imputable
Publié le : 27/03/2023 27 mars mars 03 2023Droit publicDroit public / Droit administratif(Conseil d’Etat, 3/8 ch. r. 8 mars 2023, n°456390) Le Conseil d’Etat a eu à juger d’une problématique encore difficilement réglée dans la jurisprudence, relative aux conséquences d’un accident de service. En l’espèce, un agent a été victime d’un accident de la circulation alors qu’il était...